A la recherche de l'urbanité
La création d'une section d'architecture au sein de la « Biennale de Paris » est une des principales nouveautés qui
caractérise en 1980 cette «manifestation internationale des
jeunes». Voici donc enfin que la recherche architecturale est
reconnue d'intérêt public au même titre que la recherche
dans les domaines des arts plastiques et visuels. Pour sa
première exposition d'architecture, la XIe Biennale de Paris a
choisi le principe d'une manifestation thématique sur « l'urbanité ». Le choix de ce « mot-clef »(à la fois ancien
dans les dictionnaires et nouveau dans sa signification) est
révélateur d'un courant important des pratiques nouvelles
chez les jeunes architectes.
Au Moyen-Age, le terme « urbanité » signifiait « gouvernement d'une ville », puis bientôt « qui a un
caractère urbain ». A l'époque moderne la signification du
mot évolue vers un sens différent :« agrément, obligeance,
civilité où entre beaucoup de savoir-vivre et d'usage du
monde ». Récemment un nouvel usage du terme « urbanité » apparaît : il veut désigner diverses qualités de
l'organisation ou de la création urbaine développées en
réaction contre les ravages dûs aux pratiques courantes de « l'urbanisme moderne »(de l'après guerre jusqu'à nos
jours) et contre les déviations technocratiques issues de
diverses doctrines fonctionnalistes qui ont privilégié les
aspects mécanistes, quantitatifs et matérialistes des villes.
Ces procédures d'urbanisme dit « moderne » ont en effet
engendré la ségrégation des citadins, la fragmentation des
espaces et du temps ; elles ont suscité une véritable
aliénation urbaine et entraîné la perte d'identité de la cité.
C'est pour se démarquer de ces fâcheuses tendances que
l'usage nouveau du terme « urbanité » est proposé en
alternative pour désigner une qualité nouvelle de l'usage et
de l'aménagement des villes, de leurs potentialités
architecturales et humaines. Ce nouveau sens du mot « urbanité » fait volontairement référence à sa double
signification originelle et ultérieure. Ainsi l'urbanité
désignerait « le savoir-faire la ville et le savoir-vivre la ville ».
Sur ce thème, l'exposition d'architecture de la Biennale de
Paris s'est attachée à détecter une cinquantaine de jeunes
(dans une quinzaine de pays) qui chacun à leur façon sont
porteurs des germes de cette nouvelle sensibilité pour
aménager nos villes. Avec eux il n'est plus question de ces
grands programmes mégalomaniaques qui récemment encore
bouleversaient des quartiers entiers en faisant table rase de
notre patrimoine urbain. La nouvelle génération d'urbanistes
et d'architectes est plus modeste, plus respectueuse du
contexte urbain où elle intervient, plus soucieuse aussi de
concilier l'avenir et le passé dans le présent. Ils sont plus
réalistes, plus conscients, plus habiles que leurs aînés dont
le brutalisme a trop souvent mutilé la ville. Ces jeunes
cherchent une « urbanité » démocratique, mettent en valeur
une identité communautaire, des espaces de proximité et une « poétique de la ville ». Ils nous proposent de substituer à la
consommation effrénée de la ville (qui a marqué ces
dernières décennies) une civilité et une convivialité urbaines
nouvelles. Ils agissent sur la ville à tous les niveaux
d'intervention et à toutes les échelles de vie urbaine pour
tenter de restituer à la cité son caractère diversifié, intelligible
et, pour tout dire,... vivable.
Jean Dethier