L'art de la vidéo
L'art-vidéo est l'expression individuelle et personnelle d'un
artiste utilisant l'outil-télévision, - enregistrant au moyen de
l'électronique sur une bande magnétique. Ceci donne à
l'artiste une gamme de matériel pour la production d'images
tout à fait neuve, un éventail de couleurs et de formes
nouvelles, irréalisables avec tout autre medium, et, ce qui est
le plus important, un système de production qui permet un
enregistrement instantané du mouvement, du temps, avec la
possibilité de réécouter, revoir, réagir et réenregistrer. Ce
phénomène immédiat de « feed-back » crée une approche de
la production différente de celle du cinéma par exemple.
Cette approche peut être différente pour chaque artiste, mais
pour chacun d'eux il existe un rapport unique au medium
qu'il a choisi pour exprimer ce qu'il lui est impossible de dire
avec tout autre medium.
Jusqu'à présent, l'essentiel de la communication que nous
avons reçu par l'intermédiaire de ce medium nous est
parvenu à travers les systèmes nationaux complexes de
télévision commerciale, portant la marque de ces
institutions : divertissements, manque d'imagination, de
créativité. Même si quelques programmes de télévision
peuvent être très bons, la majeure partie de ce que l'on peut
y voir a pour but de distraire le grand public et non d'élargir
la minorité exigeante de la population. D'authentiques
promotions sont faites à l'art et à la culture, en particulier
sur les réseaux nationaux, mais habituellement sous la forme
de reproductions d'autres modes artistiques : entretiens,
opéras, ballets, concerts, théâtre. Toutes ces émissions
créent souvent l'illusion plutôt que la réalité de la profondeur
culturelle. De fait il y a peu de communication artistique.
L'expression artistique est trop large, trop de filtres existent
entre l'artiste et le public. La plupart des arts du spectacle,
par exemple, perdent beaucoup, au petit écran, du caractère
magique et de la majesté de la scène. Les caméras réduisent
au minuscule espace intime de l'écran de télévision
domestique des orchestres de quatre vingts musiciens, des
compagnies entières de ballets, etc... L'expérience sociale,
qui est une part importante de l'expression artistique,
manque totalement. Peu de choses sont faites pour tester le
medium quant à sa propre créativité artistique originale, pour
mettre l'artiste en contact direct avec le spectateur, dans le
but d'encourager une communication artistique sans aucun
filtre que ceux du medium lui-même. La communication
intuitive, supposée être le mode créatif de l'artiste, n'a pas
souvent été réussie au petit écran. Peut-être cela est-il
inévitable étant donné les procédures de production de la
plupart des réseaux de télévision. Cette situation a conduit au
fait que l'expression artistique a été réservée aux galeries,
aux musées et à un nombre restreint de centres
expérimentaux dans le monde qui ont accès aux moyens de
production.
L'art vidéo fait, depuis un certain temps déjà, partie de l'art « établi » et a généralement été accepté comme une forme
légitime de l'expression artistique ceci en dépit du travail
souvent mauvais présenté au nom de l'art. De nombreuses
oeuvres ont été diffusées plus pour leur nouveauté technique
que pour leur importance artistique. Ce qu'on a reconnu,
même dans le cadre d'oeuvres mineures, c'est l'importance
du medium et c'est que son accès doit être autorisé à
l'artiste afin qu'il puisse le tester pour utiliser pleinement son
potentiel créatif. Nous en sommes encore au tout début de
cette exploration et il reste encore beaucoup à faire. Les
artistes doivent avoir un plus grand accès aux moyens de
production. Des systèmes doivent être créés pour permettre
une plus grande production artistique originale à l'aide de ce
medium. Les créateurs, dans le domaine des arts du
spectacle, doivent apprendre à créer pour la télévision. L'art
devrait être provocateur dans le mesure où il excite notre
imagination et élargit notre expérience et notre connaissance.
Imaginez ce type de communication à la télévision - le
medium devient stimulant au lieu d'être tranquillisant. De
nombreux professionnels de la télévision argumentent sur le
fait que la majeure partie du public ne désire pas ce genre de
télévision. Peut-être ont-ils raison mais le public n'a jamais
vraiment eu le choix.
Un medium consiste autant dans la manière dont la
communication est reçue que dans le message qu'il véhicule.
La télévision est censée être diffusée chez le particulier où la
communication a lieu sur un mode intime et détendu. Tout
ceci fait partie du processus de réception du message. Voir
une bande vidéo dans l'espace d'un musée est aussi éloigné
qu'il est possible de l'être de cet idéal. La visite au hasard et
subjective, d'une galerie de peinture ne peut être rendue par
l'art-vidéo. L'écran constitue un contact individuel exigeant
notre attention alors qu'il ne contrôle que 30 % de notre
champ de vision. Le temps s'arrête. Ou, tout au moins, il est
admis que l'on est dans une position où le temps n'est plus
un facteur pour la durée de l'émission. En diffusant dans
l'espace du foyer, familier, intime et - on l'espère
chaleureux, la télévision touche un public naturellement
réceptif. C'est pourquoi la suspension du temps et la
réceptivité sont deux facteurs importants dans le processus
de la communication vidéo. De nombreux artistes,
consciemment ou inconsciemment, travaillent en réaction à
ces éléments. Une partie de l'oeuvre de Nam June Paik, par
exemple, est excellente parce qu'il comprend le
temps-télévision et l'utilise très bien. Ces deux éléments ne
peuvent être reproduits dans un musée d'une manière
satisfaisante. Dans le but de désavantager aussi peu que
possible l'oeuvre choisie, nous avons créé deux
environnements télévisuels pour reproduire des situations de
visionnement aussi proches que possible des conditions
réelles. Elles sont tout à fait opposées en esprit et en
atmosphère, mais toutes les deux constituent des
environnements télévisuels contemporains et peuvent arrêter
le temps. Si jamais l'art-vidéo est un jour diffusé, ce type de
théâtralité ne sera plus nécessaire.
En complément à la collection vidéo présentée ici, un autre
usage artistique de la vidéo fait aussi partie de la sélection de
la biennale : les installations'vidéo. Une installation utilise la
vidéo en tant qu'élément sculptural, seule ou avec d'autres
matériaux, habituellement comme un exposé de la réalité et
de sa perception ou transmission à travers le
medium-télévision. Les éléments de l'installation sont bien
sûr propres à l'environnement du musée ou de la galerie et,
de ce fait, nécessitent peu d'explications ou de justifications
ici. Beaucoup des installations constituent des
environnements qui exigent, pour fonctionner, la participation
du public. Cette participation est extrêmement important
pour le travail et est censée provoquer une réponse du
participant vis-à-vis de la télévision elle-même. Les
installations vidéo font maintenant partie intégrante des
collections permanentes de la plupart des grands musées
d'art moderne du monde. Les aeuvres participant à la
Biennale viennent principalement de France, d'autres de la
République Dominicaine, du Portugal et de la Corée du Sud.
Cette sélection de bandes constitue une tentative d'explorer
un nouveau domaine de l'art-vidéo et de trouver de nouveaux
artistes venus d'horizons qui ne sont pas tout à fait connus
des habitués de la biennale. La vocation spécifique de la
biennale est de trouver le jeune artiste avant que celui-ci ne
soit connu du grand public. Dans le domaine de la vidéo,
nous faisons un pas de plus et délaissons des zones où
l'art-vidéo s'est déjà complètement développé pour celles où
un grand ensemble d'aeuvres existe, mais n'est généralement
pas connu ici. Pour cette raison, la sélection d'aeuvres en
provenance des Etats-Unis se limite à la Californie plutôt qu'à
la Côte Est où l'art vidéo a vu le jour. L'Europe est
régulièrement tenue au courant de la plupart du travail
effectué sur la Côte Est, même par de jeunes artistes, alors
qu'on a une connaissance très limitée de ce qui se fait en
Californie. Ceci est vrai aussi pour le Canada, où des artistes
travaillent depuis un certain temps dans le domaine de la
vidéo. De plus, ces travaux, sont souvent éclipsés par
l'énorme quantité de ceux provenant de New York.
Un effort spécial a été fait pour inclure un certain nombre de
jeunes artistes français qui commencent à travailler sur la
vidéo. Leur nombre a augmenté ces deux ou trois dernières
années alors que l'accès à l'équipement, impossible
auparavant, devenait parfois possible. L'existence d'un équipement disponible pour l'expérimentation ou l'accès à
celui-ci sont encore beaucoup trop limités, en France comme
dans de nombreux autres pays, ils sont insuffisants pour
donner aux artistes la possibilité d'approcher le potentiel de
ce médium. Les moyens disponibles ont néanmoins permis
la réalisation de travaux dont les résultats sont souvent
intéressants. Ces résultats devraient encourager la poursuite
du travail sur ce medium et, nous l'espérons, donner plus
d'opportunités aux artistes désirant développer leur
connaissance du medium vidéo.
La télévision est le moyen d'expression le plus visible
existant actuellement dans le monde. Comme pour le film qui
l'a précédée, cela a pris et prendra encore beaucoup de
temps avant qu'elle ne soit reconnue comme une forme,
d'art. Quoiqu'il en soit, des artistes se sont déjà empars du
medium et vont l'exploiter jusqu'à ce qu'il en sorte ce qu'ils
en attendent. Faites très attention à ce qu'ils font. Leur futur
sera certainement le vôtre.
Don Foresta